Prof : vocation dépression ?

Publié le 21 janvier 2020 par Mystika @Mystikate

Sur ce blog que je tiens depuis plus de huit ans, je n’ai évoqué mon métier que de manière allusive. Pourquoi ? Car ce n’était pas le propos de départ, il suffit de regarder le nom de mon blog : « Une parenthèse (mode) ». Mais au fur et à mesure des années, j’ai étendu les domaines et ce blog qui n’était consacré qu’à la mode et à la beauté s’est ouvert à d’autres sujets. On m’a demandé plus d’une fois de parler de mon métier, mais je me suis toujours mis des barrières.

En effet, j’ai eu beau tenter de garder mon blog secret, les élèves ont bien vite découvert son existence. Lorsque j’en ai pris connaissance il y a des années, je suis restée mortifiée et prête à tout arrêter. Je voulais garder cela loin de mon environnement professionnel. En y réfléchissant, je me suis dit que ce blog ne me portait pas préjudice, qu’il ne portait pas préjudice à mon métier non plus, donc je l’assume.

Mais je ne souhaite pas raconter ce que je peux vivre en classe ou avec les collègues, tout simplement parce que je dépasserais le cadre que je me suis fixé. Cela plairait aux élèves qui viendraient lire et interpréter mes propos, se reconnaître ou reconnaître des camarades… J’évite donc !

Cette longue introduction était nécessaire pour amener un sujet encore jamais évoqué : ma façon de voir mon métier.

Il y a encore quelques mois, je pérorais et annonçais fièrement : « J’adore mon métier ». Mais tout a changé, même si j’ai toujours un plaisir immense à retrouver les élèves en cours et à leur transmettre ma passion de la lecture.  Je vous explique les raisons de ma remise en question :

I Prof : une vocation

Exercer ce métier c’est souvent répondre à une vocation. Le terme vocation est fort puisqu’il vient du verbe latin « vocare » signifiant « appeller ». Comme la religion, l’enseignement est un sacerdoce. J’irais même jusqu’à dire que les enseignants qui exercent ce métier pour les mauvaises raisons (sécurité de l’emploi et vacances) sont bien vite déçus ou résignés.

On devient souvent enseignant par transmission familiale. Quel professeur n’a pas un membre de l’Education Nationale dans sa famille ? De mon côté, quand je regarde ma famille proche (j’allais écrire prof) j’en compte 7 !

—> Oui je me suis sentie appelée et je voulais absolument faire partie de cette grande famille de l’Education Nationale.

II Prof : un parcours long

Lorsque je suis devenue enseignante, j’ai pu passer le CAPES à bac +3. En l’occurence j’avais un bac +4 car j’ai fait une maîtrise ( équivalent du Master 1 pour les plus jeunes). Ce concours était réputé difficile, il m’a demandé un travail préparatoire. Certes, il ne s’agissait pas d’un travail intense et asservissant comme le subissent les élèves des écoles de médecine, mais c’était néanmoins du travail.

J’ai obtenu mon CAPES au bout de ma deuxième tentative, et le jour des résultats fait partie des plus beaux moments de ma vie : c’était le 14 juillet 2005.

Je me souviens des oraux du concours comme si c’était hier, de ma joie d’avoir eu à un traiter un extrait des Mots de Jean-Paul Sartre. Puis de mon enthousiasme à l’idée d’être une véritable professeure de Lettres Classiques.

Aujourd’hui pour être enseignant, c’est au bout d’un cursus de 5 années… et le nombre de postulants s’effondre. Evidemment ! Qui veut faire 5 ans d’études pour exercer un métier si mal payé et si mal considéré ?

Ces schémas (trouvés dans cet excellent article de Libération) en disent long. Vous pouvez voir la baisse phénoménale du nombre de candidature au moment de la masterisation décidée sous Nicolas Sarkozy. A partir de 2010-2011, tout candidat devait avoir un niveau Master. Il n’y a pas eu d’effet rebond : les candidats ne sont plus au rendez-vous et c’est encore plus frappant chez les professeurs des écoles.

—> Cette baisse du nombre de candidats corrélée à une augmentation des postes vacants amène à un recrutement de candidats aux compétences plus faibles. C’est inévitable, ne nous leurrons pas.

III Prof : un pion

Un pion oui, c’est le terme idoine pour bien des situations.

A. Les vacataires

Avant de réussir le concours, j’ai commencé en tant que vacataire. J’ai débuté à ma sortie de Khâgne (deuxième année de classe préparatoire littéraire), donc très jeune. Et chaque année, en parallèle de mes études universitaires, j’ai effectué des remplacements dans des collèges. A la rentrée scolaire, j’avais tellement d’appels de chefs d’établissement qui voulaient absolument me voir venir dans leur collège que j’ai dû être ferme auprès du Rectorat. Oui j’avais l’embarras du choix ! Cela en dit long sur le manque cruel d’enseignants, déjà il y a plus de 15 ans. J’effectuais surtout des remplacements en latin : une matière qu’on croit oubliée mais très demandée. Et les professeurs de Lettres Classiques sont rares et l’ont toujours été. Vous pouvez le constater sur le schéma précédent.

Le sujet des vacataires et des maîtres auxiliaires est un problème grave : pour faire face à la pénurie des vocations, mais aussi par souci d’économie, l’Etat en engage de plus en plus. Oui c’est économique pour l’Etat : un vacataire n’est payé que sur les heures effectuées : il n’a aucune rétribution pour les vacances par exemple. Bien sûr, cela donne lieu à ce que vous imaginez : des « vacataires » qui viennent faire acte de présence, subissent leur heure de cours, et sont ensuite payés. Je l’ai vu et entendu plus d’une fois lorsqu’un vacataire « enseignait » à côté de moi. Un brouhaha assourdissant m’empêchait de faire cours correctement.

Mais attention ne nous trompons pas de cible : je n’en veux pas à ces personnes qui n’ont eu aucune formation et qui veulent gagner de l’argent d’une manière ou d’une autre. J’en veux à ce système qui les catapulte du jour au lendemain dans une salle de classe face à des adolescents qui s’apprêtent à tester « le nouveau ».

B. Les TZR

Si vous êtes prof ou si vous en avez fréquenté, ce terme TZR ne vous est pas étranger. Il signifie « Titulaire de Zone de Remplacement ». Presque tous les profs débutants ont droit à ce charmant statut. Ils doivent aller effectuer des remplacements annuels (quand ils ont de la chance) ou périodiques ( souvent). La plupart du temps cet établissement est loin de chez soi, le TZR est le « remplaçant » qu’il s’agit de tester, qui arrive comme un cheveu sur la soupe, après la rentrée, et qui a bien du mal à s’intégrer malgré tous ses efforts.

Il a beau avoir obtenu le même concours que ses collègues, il est « le TZR » : celui qui a l’emploi du temps pourri car on le connaissait pas. C’est plus facile de sacrifier un inconnu.

Au bout de quelques années de demandes de mutation hautement stratégiques, il peut espérer un poste fixe… s’il n’a pas craqué avant.

—> Ce concept de remplacements, avec des enseignants que l’on sacrifie est totalement aberrant.

IV Prof : la mutation

Ah la mutation ! L’éternel sujet des enseignants. Vous avez forcément eu un collègue d’EPS venant du Sud, armé de son bronzage et de ses illusions, qui se voit catapulté dans un collège isolé et précaire de région parisienne. Loin de ses proches et de ses repères, il tente de se raccrocher à sa passion du métier. Néanmoins l’aigreur et la rancune guettent… et il va falloir attendre quelques années pour repartir dans ce Sud tant aimé.

De même je ne compte plus les collègues de région parisienne qui tentent chaque année de retrouver leur chère Bretagne ou l’Académie de Nantes, mais qui rongent leur frein et leur reste d’illusion dans un collège REP du 93.

Car oui là aussi les professeurs doivent subir des lieux d’affectation à l’opposé de leurs souhaits initiaux. C’est la raison pour laquelle certains collègues se Pacsent par arrangement, afin de faire jouer le fameux « rapprochement de conjoint ».

Demander sa mutation nécessite des points (tiens on y revient à cette histoire de points) qu’il faut gagner et jouer de manière stratégique. Pourtant tout cela est loin d’être un jeu. Heureusement que les syndicats sont là pour nous aider dans ce brouillard.

—> La mutation est un sujet sensible et complexe, qui a déjà dérouté (et dégoûté) plus d’un d’entre nous.

V Prof : compassion

La vision de notre métier a changé. Je le perçois à mon petit niveau. Lorsque j’ai commencé à enseigner (en tant que vacataire donc) les réactions étaient enthousiastes à l’évocation de mon métier. J’étais fière de l’annoncer et d’en parler.

Depuis un peu moins de 10 ans, les choses ont radicalement changé. Je vois surtout de la compassion (chez les plus bienveillants). Et quand je précise que j’enseigne dans un collège REP+, j’en sens encore plus.

Pour information les établissements Rep+ font partie d’un Réseau d’Education Prioritaire renforcé. Ce réseau englobe aussi la primaire et la maternelle. Cela est censé désigner les établissements les plus difficiles. Il y a des compensations : des classes moins chargées, du matériel à disposition, une prime et une pondération du temps de travail pour donner lieu à des réunions de réseau.

J’ai commencé dans l’Académie de Versailles , dans des collèges pas « faciles » mais tout à fait gérables. Lorsque j’ai obtenu ma mutation dans l’Académie de Paris, j’ai demandé « tout établissement sauf Rep et Rep+ ». J’estimais avoir droit à un peu plus de tranquillité au bout de 15 ans. Quelle ne fut pas ma surprise à l’annonce de mon affectation : un collège REP+ ! Heureusement tout se passe très bien et je ne demande pas à en partir car c’est un établissement que j’adore.

Oui je grossis le trait : beaucoup s’obstinent à nous voir encore comme des privilégiés fainéants qui ont peu d’heures de cours, beaucoup trop de temps libre et autant de vacances que leurs enfants (trop donc).

Cependant ce métier ne fait plus rêver personne, et cela en dit long.

—> Même moi qui reste encore passionnée (mais pour combien de temps ?) je déconseillerais à un aspirant professeur de se lancer dans cette voie.

VI Prof : une condamnation

Quand on est enseignant, nous ne connaissons pas les avantages que peuvent avoir les salariés dans le privé. Attention je ne critique pas les salariés du privé qui ont eux aussi leurs problèmes. Mais tout ce qui est comité d’entreprise qui prend en charge une partie des activités sportives, carte ticket restaurant, place de cinéma ou de spectacle à prix réduits : nous ne connaissons pas.

Certes nous avons le Pass Education qui nous permet d’entrer gratuitement dans certains musées, mais c’est tout !

Quant à la mutuelle : la MGEN on en parle ? Notre fameuse mutuelle réputée avantageuse ? Je vois qu’elle a les moyens de lancer de grandes campagnes publicitaires à la télévison avec Martin Fourcade comme égérie. C’est sûr que vu ce qui est prélevé chaque mois sur le salaire des fonctionnaires, on a un bon budget pub. En revanche quand il s’agit de mettre en place des remboursements légitimes, il n’y a plus personne. Tout est hors catégorie. Enfin moi j’en suis partie il y a des années, sans regrets.

A présent parlons salaire. Les chiffres et moi c’est compliqué donc je ne vais pas m’étendre sur le sujet. Mais le fameux gel du point d’indice fait stagner notre salaire depuis 10 ans. Ce schéma en dit long :

En outre, un enseignant (et un fonctionnaire en général) n’a pas le droit d’exercer une autre activité à côté, sauf s’il est à temps partiel et si l’activité est en rapport avec son métier. Ainsi une enseignante qui voudrait lancer son entreprise de créations de bijoux n’en aura pas le droit. Mais que va-t-elle bien faire de tout son temps libre ? Ecrire un article-fleuve pour faire part de son désarroi peut-être ?

Un enseignant d’EPS ne pourra pas devenir coach sportif le week-end pour compléter son salaire. Non voyons : on se voue corps et âme à la fonction publique et tant pis si on ne parvient pas à boucler les fins de mois. Nous sommes déjà tellement privilégiés.

—> Avec des salaires aussi faibles par rapport à beaucoup de confrères européens, et pour une puissance comme la France, comment ne pas vouloir revendiquer davantage ?

VII Prof : par répartition

Ce fameux système de retraites par points va pénaliser grandement une profession déjà dévalorisée. Le calcul de la retraite sur la carrière totale et non pas sur les 6 derniers mois est très inquiétante. C’est en fin de carrière que nos salaires sont enfin valorisés. Que dire des femmes qui en plus ont eu des congés maternité ou parentaux ?

Ce système nous condamne définitivement, et nous ne sommes pas les seuls touchés.

Les enseignants semblent faire partie de cette majorité silencieuse, que l’on ne voit pas et que l’on n’entend pas. Même les actions symboliques passent à la trappe : l’envahissement du Rectorat de Paris mercredi dernier, les établissements bloqués. Tout est tu, tout est caché.

—> Faut-il avoir recours à la violence ou à la paralysie pour se faire entendre ? Au sacrifice peut-être. Cela dit c’est déjà un métier sacrifié.

VIII Prof : les dissensions

Les différentes journées de grève s’apparentent à mes yeux à des coups d’épée dans l’eau. Oui certains enseignants sont absents, mais l’établissement fonctionne. Le Rectorat fait remonter des chiffres bien étranges. Des collègues ont perdu 6 ou 7 journées de salaire, sont allés manifester pour faire valoir nos intérêts. Mais pour quel effet ?

De mon côté j’ai fait une seule journée de grève, la première, et n’ai pas vu l’intérêt de faire les autres. Nous sommes confrontés à un mur : le gouvernement, et nous nous sentons bien démunis.

Evidemment les dissensions entre grévistes et non grévistes ont pu se faire sentir. Les chefs d’établissement se voient eux aussi attaqués.

—> Ne nous trompons pas de cible. Il faut trouver un moyen d’agir et de s’exprimer, mais lequel ? S’immoler devant le ministère ?

IX Prof : reconversion

L’ironie de la situation ? Début janvier nous avons reçu une circulaire ministérielle nous donnant les démarches à suivre pour une reconversion professionnelle !

Moi qui ai toujours aimé ce métier et voulais l’exercer durant toute ma carrière, je me pose des questions. J’ai choisi les Lettres Classiques car j’adore le latin et le grec. En 19 ans d’enseignement, je n’ai jamais eu la chance d’enseigner le grec. Et mes heures de latin se sont vu réduire par Najat Vallaut Belcacem. Nous sommes passés de 8 heures à 5 heures en tout (2 heures en 4e et en 3e, 1 heure en 5e). Pourquoi ? Officiellement car cela coûtait trop cher et était élitiste. J’ai toujours enseigné dans des établissements difficiles, et ai toujours eu des latinistes, et pas que les fameux « enfants de BoBo ».

Au-delà de mon cas particulier, pas bien grave, je ne compte plus les collègues écoeurés par leur métier, qui n’y voient plus aucun sens.

—> La réforme du lycée et du Bac semble être une aberration totale. Avis aux collègues de lycée : n’hésitez pas à expliciter en commentaire les points les plus litigieux de cette réforme.

X Prof : abandon

Puisque nous nous sentons abandonnés… autant tout quitter. Certains collègues songent sérieusement à tout arrêter. Mais c’est surtout cette crise des vocations qui m’inquiète. Il y a tellement peu de candidats que l’on revoit les exigences à la baisse. Ainsi, le manque est tel dans l’Académie de Créteil, que 2/3 des candidats au concours de professeur des écoles obtiennent un poste :

Et ces nouveaux collègues, confrontés à de cruels manques de moyens, à des classes surchargées, à des parents démissionnaires, à des enfants violents… combien de temps tiendront-ils ?

Et l’abandon ultime n’est pas la démission. C’est l’acte désespéré de cette directrice d’école, Christine Renon, lors de cette dernière rentrée scolaire : le suicide. Sa lettre en disait long sur l’usure provoquée par son métier.

—> Une éducation au rabais ? Oui  Une éducation sacrifiée ? Aussi.

Conclusion

Je finis avec cette question d’une enseignante de philosophie qui va démissionner : « Si nous-mêmes nous n’avons plus envie, comment donner envie aux élèves ? » Je l’ai écoutée dans l’épisode d’Interception intitulé « Les maux du corps enseignant », je vous le recommande vivement.

Les enseignants voient donc la fin des illusions, ils sont sacrifiés par le gouvernement d’Emmanuel Macron… Et ne sont pas les seuls. Quand je vois la détresse de l’hôpital public, je suis particulièrement inquiète.

J’aimerais que ce long article ne s’arrête pas ici. N’hésitez pas à le partager, à commenter pour l’étayer et le compléter. Il y a tant à dire, en espérant pouvoir agir ou déjà faire réagir.

Voir aussi:

Détails du dimancheDétails du dimancheLe traqueur

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