Commençons le mois de mai avec un film qui nous plonge dans le quotidien d'un parisien, propriétaire d'une quincaillerie en plein cœur de la capitale (Bricomonge). Un commerce ou plutôt un lieu de vie et d'échange pour les habitants de quartier latin. 30 ans de vie et de souvenirs à travers les yeux d'un fils passionné de cinéma et d'un père commerçant, qui chacun à leurs façons ont voulu rendre un dernier hommage aux petits commerçants du quartier, condamnés à la fermeture.
Samuel Bigiaoui, architecte et enseignant en mathématiques de métier, est un amoureux du cinéma et de théâtre, après une formation d'acteur à l'Atelier Blanche Salant (promotion 2011), il a entièrement écrit et réalisé son premier film documentaire 68, mon père et les clous.
Fasciné par le magasin de son père, il décida en 2012, suite à l'annonce de son père de mettre la boutique en vente, de mettre des images sur des mots, de montrer le quotidien de son père qui avec les années est devenu une des figures emblématiques du quartier. On y vient pour acheter toute sorte d'outillages, mais aussi pour échanger et refaire le monde.
Samuel Bigiaoui a passé toute son enfance dans ce magasin. Devenu adulte, il se pose la question sur les motivations de son père, un intellectuel diplômé et ancien militant maoïste de la gauche prolétarienne, à ouvrir une boutique de bricolage à presque 40 ans et à vendre des clous.
Je trouve la démarche extrêmement noble et très émouvante, un fils qui immortalise une tranche de vie de son père, c'est beau. Ce film documentaire est un hymne à une vie ou l'humanité occupait une grande place dans le quotidien des habitants du quartier . A l'heure où les caisses automatiques ont remplacé les caissiers, les écrans de pc et téléphone nous font petit à petit oublier à quel point nous sommes devenus des consommateurs robots sans même nous rendre compte de la tristesse et de la froideur d'une vie sans un sourire, sans un vrai moment d'échange. Ce film est comme une piqûre de rappel, contre la puissance financière des grands patrons, qui écrasent sous leurs pieds tous les petits commerçants, qui pourtant pour la plupart sont l'âme du quartier.
Samuel Bigiaoui a voulu avant tout rendre présent l'importance des relations humaines au travail, un accompagnement imagé d'un monde qui tourne le dos à une génération. Il lui a fallu quinze semaines de tournage, pour créer de façon authentique et sincère le quotidien de Jean (son père ) Zohra et tous les personnages les uns plus attachants que les autres.
Il nous montre leurs intimités sans être envahissant, le décor, les paroles, les plans tournés dans les sous-sols du magasin, nous embarquent tendrement dans les coulisses d'une boutique où les vielles cartes postales envoyées par les clients étaient fièrement scotchés sur le miroir. Les reçus écrits à la main nous rappellent à quel point nous avons perdu le plaisir d'écrire avec un crayon ou un stylo.
Avec le temps, nous nous sommes laissés noyer par les machins, au point où les vrais valeurs de la vie comme l'amour de l'autre, l'authenticité et surtout le besoin d'échanger quelques mots ne se fait même plus sentir. Raison de plus d'aller voir ce film documentaire, qui déborde d'amour et de reconnaissance envers un père qui jusqu'au bout s'est battu pour garder son commerce.
Informations Pratiques
Titre : 68 , Mon Père Et Les Clous
Réalisateur : Samuel Bigiaoui
Distributeur : Sophie Dulac Distribution