Librairie : Je ne veux pas d’une passion, Diane Brasseur

Publié le 06 mai 2016 par Mystika @Mystikate

Après avoir lu le roman qui a révélé Diane Brasseur en 2014 : Les Fidélités, et en avoir salué la prouesse d’écriture car l’auteur, une jeune femme de 33 ans, a parfaitement su se mettre dans la peau d’un homme de 50 ans en plein questionnement sur sa vie amoureuse, j’ai été ravie de découvrir son nouveau roman au titre péremptoire. Je ponctue ma phrase ici car la virtuosité proustienne me fait défaut

Je ne veux pas d’une passion a été publié chez Allary Editions en août 2015.

Voici l’incipit qui explique le titre :

 » Je ne veux pas d’une passion « , il a posé sa tasse sur la soucoupe.

Il n’a pas déchiré le sachet de sucre, il ne l’a pas mis dans son café, il n’a pas mélangé le tout avec la petite cuillère en inox, il boit son café noir et il ne veut pas d’une passion.

Il le répète, il le martèle avec de toutes petites variations dans le débit ou dans l’intonation.

Il n’appuie pas toujours sur le même mot, un coup le « pas », un coup « passion », un coup le « je ».

Parfois il ajoute un mot et dit : « Je ne veux pas vivre une passion. »

Il ne me dit pas, « avec toi », il dit juste qu’il n’en veut pas.

Il n’a pas l’air désolé ni malheureux, il a l’air vieux avec ses cheveux qui ont poussé.

Maintenant, on voit sa calvitie.

La jeune femme qui lui fait face, stupéfaite et cernée, se souvient alors de leur premier rendez-vous plein de promesse et d’euphorie, sept moi auparavant, dans ce même café.

Puis les chapitres alternent entre le récit de cette histoire d’amour flamboyante, et les souvenirs d’enfance avec son père, au ton nostalgique et touchant, à la désarmante lucidité :

J’ai toujours connu les mains de mon père avec des taches de vieillesse, mais petite, je pense que ce sont des grains de beauté plus étendus aux contours dentelés.

Je découvre les mois à trente jours et ceux à trente et un jours sur ses articulations. J’apprends son âge en comptant sur ses doigts comme sur un boulier. Il nous en faut du temps pour arriver jusqu’à soixante, et cela éveille mes soupçons.

La nuit, dans mon lit, j’imagine la mort de mon père et je serre les poings très fort pour me préparer.

Les mains de son père parcourent tout le roman il est présenté ainsi, par métonymies, et l’amour que sa fille lui porte est palpable. Son père, qui sent toujours bon le Vétiver, sait trouver partout des trèfles à quatre feuilles, s’offre une manucure à chaque visite chez le coiffeur, cire ses chaussures tous les dimanches matins, il n’a pas peur de mourir, mais peur de devenir vieux. Il porte une banane « de plouc » pour ne pas oublier ses papiers car il oublie et perd beaucoup de choses, de mots, de noms, de souvenirs…

Les mains de mon père sont grandes et massives pour le lester au sol.

Sa tête est gonflée de rêves, d’anecdotes trouées, de mots qu’il invente et de prénoms qu’il confond.

Ce roman m’a touchée. J’ai aimé cette écriture claire, maîtrisée, aux effets de style subtils, à la nostalgie et à la sensibilité constantes. Ces figures masculines, complexes et aimées, animent le roman. Mais la narratrice sait décrire avec talent les détails du quotidien : la recherche d’un banc au Parc Monceau, l’enthousiasme du professeur corrigeant une bonne copie, le « clic-clic » des griffes du chat sur le parquet, l’ouverture d’un vernis à ongles qui n’avait pas été utilisé pendant des mois, l’effet grisant d’une coupe de champagne…

Ces détails minuscules, ces instants de vie saisis, constituent le roman et en font sa force et sa finesse.

Vous aurez donc compris que je vous recommande cette lecture avec le plus grand enthousiasme !

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