Cyrille : Nous avons créé Matières à Réflexion en 2002 avec mon associée Laetitia, la styliste. Nous sommes implantés depuis très longtemps dans le Marais. Très bobo et arty, ce quartier est une véritable niche d'art contemporain où traîne une clientèle éduquée qui apprécie les belles choses. C'est ici que peu à peu nous avons construit, de manière très spontanée et par le bouche à oreilles, une communauté très fidèle.
Comment est née Matières à Réflexion ?On est parti en Afrique pendant un an. Puis, à notre retour, on a voulu créer des nouvelles choses à partir de choses préexistantes. A l'époque on parlait de recyclage, mais nous, on préfère parler à l'anglaise en utilisant le mot " up-cycling ". La connotation positive qui en découle nous ressemble mieux ! Au départ, nous nous sommes spécialisés en vêtements de meubles, comme des coussins, des plaids, des drapés de chaises faits en vestes militaires... Nos premières collections ont été présentées dans des boutiques du 7ème arrondissement. Chacune d'elles nous ont conseillés de plier en deux nos cousins pour en faire des sacs ! Naturellement, après conciliabule, Lætitia et moi avons créé notre premier sac baptisé " Pillow Bag " !
Et puis ?Assez vite, on a combiné la décoration et la mode pour finalement se concentrer sur la maroquinerie avec une première collection en été 2003. Mais, à ce moment-là, lorsque nous présentions nos créations dans les salons de mode à Paris, personne n'était réceptif à part les Japonais ! Les Français ne comprenaient pas notre concept de recyclage... C'est pour cela que nous avons décidé d'ouvrir notre propre boutique pour véhiculer notre univers. Mais, comme on trouvait que les boutiques de sac étaient peu trop linéaires, on a tout de suite décider d'accompagner nos collections de maroquinerie avec des bijoux et des chapeaux, des foulards pour recréer une atmosphère particulière et très spontanée.
En quoi votre boutique Matières à Réflexion est-elle unique ?Tout est fait dans notre atelier ici. Notre circuit de diffusion est donc réduit. Cependant, nous avons des revendeurs partout dans le monde : à New-York, à Oslo, à Genève, à Tokyo ! Mais, on n'est pas des fous du marketing ! On tient à notre fabrication artisanale dûe à la matière qu'on travaille. Chaque sac est fait à partir d'une veste en cuir différente : les détails sont tous uniques mais la forme reste la même. Voilà notre concept 100% cuir ! Quelques sacs sont aussi en matière brute de textiles.
Comment se passe le processus de fabrication des sacs MAR ?On achète nos vestes dans des circuits de réinsertion, c'est-à-dire des usines qui ne vendent que des vêtements de secondes mains. On sélectionne deux tonnes de vestes en cuir pour pouvoir traiter ensuite une centaine de kilos de cuir. On est obligé de passer en revue cette énorme masse. Quand on sort une petite série, on sélectionne la couleur qui va bien, par exemple, le cuir noir vintage. On remet tout à plat, on enlève les doublures. En fonction des détails, on les affecte à tel ou tel modèle. Typiquement, quand les cuirs sont très épais, on fait des gros sacs structurés. Pour les pochettes, on vise les pièces en agneau plongé... Ensuite, on aplatit le tout sur le patronage et on découpe à la main. Puis, on assemble le cuir neuf - qu'on a coupé avec une presse - avec le cuir vintage. La dernière étape se passe à l'atelier avec les machines de maroquinerie. Tout le monde met la main à la patte car il y a un savoir-faire qui demande un certain corps de métier.
Vous considérez-vous comme un artisan ?On est très attaché à " faire " les choses. MAR est à la fois une marque et un artisanat. Nous sommes fiers de présenter nos collections qui viennent de nous au sens propre ! Et c'est vraiment notre style et notre concept qui attirent notre clientèle.
Pour quelles occasions pouvons-nous porter les sacs Matières à Réflexion ?Ce sont des sacs pour la vie de tous les jours et pour y mettre tous les essentiels de la journée. Nos clientes sont à la fois des Parisiennes du quartier et à la fois des provinciales et des touristes. Elles ne sont pas attachées aux grosses marques, elles sont plutôt " no-logo ". Elles aiment la marque comme gage de qualité. Elles aiment prendre le temps de faire du " shopping-plaisir " ! La plupart des clientes vient par le bouche à oreilles ou si elles sont étrangères, elles achètent au coup de cœur !
Pourquoi un tel nom de marque : Matières à réflexion ?Déjà, il faut préciser que " Matières " est au pluriel et que " réflexion " est au singulier ! Parce que nos sacs sont multi-matières c'est-à-dire qu'on les fabrique avec du cuir mat, brillant, vintage, neuf... C'est un des identifiants de notre marque depuis toujours. Ce qu'on aimerait bien c'est que la cliente se pose des questions en voyant, en touchant nos sacs... Un sac plutôt souple, avec des mélanges de matières, devrait interroger. On sent que nos sacs ont un vécu contrairement aux finitions de la maroquinerie classique. Par exemple, dans ce sac-là, on remarque beaucoup de découpes qui viennent du vintage : normalement, on ne trouve pas autant de découpes dans un sac lambda.
Présentez-nous votre dernière création ?Notre sac " Letter " qui vient compléter la série de pochettes " Enveloppe ". Ce nouveau format correspond tout à fait à celui d'une lettre au sens propre du terme. C'est du A5 conformément aux mesures du papier américain !
Nous ressentons beaucoup d'influences anglo-saxonnes dans vos créations. Le confimez-vous ?C'est vrai qu'il y a une tendance en ce moment à mettre des prénoms pour décrire un sac : tout le monde appelle son sac Georges ! Et, nous, nous n'avons jamais vraiment adhéré à ce principe. On veut que nos sacs fassent penser à quelque chose de préexistant. Le vocabulaire anglo-saxon est parfait car il est très abstrait. On se concentre sur le produit.
Quelle est la série la plus emblématique de Matières à Réflexion ?C'est cette ligne " Pocket " qui est assez symptomatique car il y a à la fois trois matières et trois couleurs. On reconnaît très vite la différence entre le cuir vintage lisse et les autres cuirs mats. On aime le décliner en plusieurs couleurs...
Matières à Réflexion est-elle une marque spécialiste du sur-mesure ?Pas vraiment... Ce qu'on fait et ce qu'on adore faire, c'est de la " demi-mesure ". On prend une forme existante puis on la personnalise. Mais, ça nous est arrivé de développer une forme pour une cliente car ensuite, on l'a intégrée dans nos collections. Une fois, une autre cliente est venue avec une veste vintage Inès de la Fressange pour la retaper complètement !
Quelle serait la muse idéale pour Matières à Reflexion ?Difficile question ! ... On est très influencé par la famille Birkin-Gainsbourg autant la mère que la fille. Toute cette mouvance correspond à notre univers années 70-80 assez libéré, élégant. Françoise Hardy incarne aussi très bien notre style à travers sa finesse d'esprit en matière de mode et d'attitude. On est loin des muses classiques du moment. On a un côté nostalgique car on aime accumuler les anecdotes historiques. Lætitia, la styliste, tient cette passion de ses études d'art... Matières à Réflexion est fait pour des personnes aux forts caractères, des femmes qui ont eu plusieurs vies qui se sont enrichies au contact de plein d'univers, qui sont aux croisées d'influences musicales, artistiques, fashion très variées. Lætitia et moi passons notre temps dans les galeries d'art contemporain et nous nous en nourrissons pour notre créativité.
Comment fonctionne votre duo créatif ?Quand nous avons créé notre marque, Laetitia et moi étions en couple. Aujourd'hui, chacun a refait sa vie de son côté. Mais nous sommes restés très complémentaires quand il s'agit de Matières de Réflexion. On se respecte et on a conscience que pour que la marque fonctionne, il faut un duo. Notre binôme coule comme de source !
Avez-vous une influence musicale particulière ?Le rock fait partie du style de Matières à Réflexion : Gainsbourg, Bowie, Hardy, Marianne Faithful... En ce moment, dans l'atelier, on écoute sans se lasser la radio FIP. Le programme éclectique nous va bien.
Quelles sont vos autres influences artistiques ?Lætitia, la styliste de Matières à Réflexion, aime se rendre aux ballets contemporains du Théâtre du Châtelet. Elle aime la musique expérimentale et les productions qui sont proposées à chaque saison.
Que pouvons-nous vous souhaiter pour 2016 ?Cette année c'est les 10 ans de l'ouverture de la première boutique. Donc, on espère une année festive !
Crédit Photos : David Foessel