Je vous partage aujourd’hui une autre réflexion sur la communication des marques de luxe car celle-ci est extrêmement intéressante à analyser. Je vous avais déjà fait une ébauche de réflexion grâce à cet article sur la communication de la marque Chanel pour une de ses publicités ou sur le luxe et sa démocratisation en général. Aujourd’hui je développe la communication de la marque Céline à travers une de ses publicités.
Mise en scène technique et picturale
Le nom de la marque apparaît au milieu de la photo, au milieu du croisement des points forts, juste sur le mannequin au niveau de la poitrine, elle est écrite en noir sur un fond couleur safran (couleur du manteau), ce qui permet une visibilité parfaite du nom de la marque sans qu’elle n’empiète trop sur la publicité en elle-même. Le décor de cette publicité nous transporte dans un univers indéfini : vert, rose, blanc, brun, safran, les couleurs contrastent et s’appellent, ce qui laisse le spectateur dans un flou chromatique. Le cerisier du Japon et le cactus qui délimitent le cadre de la publicité nous invitent à un voyage à travers l’Orient et les pays chauds (pour le cactus). Cet univers oriental composé de fleurs, de feuillages reflète un côté fantaisiste et un peu fouillis qui contraste avec la rigidité et la froideur du mannequin ainsi qu’avec le fond blanc du mur situé en arrière-plan. La profondeur de champ n’est pas délimitée ce qui favorise l’investissement et l’imaginaire du spectateur qui devra laisser libre cours à son imagination pour remettre en contexte la publicité, il n’y a aucune allusion à un contexte historique par exemple. L’aspect dénudé du décor facilite le maintien du regard sur l’objet en promotion et sur le couple personnage / produit. Nous sommes dons dans une composition axiale où toutes les lignes convergent vers le mannequin qui expose la tenue Céline. La netteté maximale favorisée par le flash renforce aussi le côté esthétique et idéologique de la perfection. Le plan rapproché permet de voir assez nettement le mannequin et les produits qu’elle porte, cela favorise aussi une proximité par rapport au spectateur mais qui peut être ici perçu comme une proximité voyeuriste et peu appréciée par le mannequin.
Vocabulaire du luxe : mise en scène de la femme et des produits
Droit, soutenu, sans aucune crispation perçue : la maîtrise du corps et de son maintien est parfaite. Malgré l’impression de décalage vers la droite du à la construction de l’image en diagonale, le spectateur n’a pas l’impression qu’elle tombe. Les mains détendues le prouvent encore : la pochette est tenue et aucune crispation –qui pourrait être du au déséquilibre- ne se fait ressentir. La position de ¾ favorise une ambiguïté : sommes-nous dans l’échappatoire ou dans la non-confrontation ? Nous pouvons avoir l’impression que le mannequin tentait de s’échapper derrière les feuillages du cerisier du Japon –d’ailleurs le bout de quelques feuilles apparaît sur son visage – et qu’elle a été surprise au dernier moment. Le visage s’inscrit par contre dans une position frontale : il se positionne face à l’objectif. Le regard fixe l’objectif et laisse apparaître la couleur de l’iris du mannequin éclaircie par le flash. Celui-ci donne une couleur très particulière aux yeux : entre le bleu ou vert très clairs, cette couleur très originale questionne sur l’humanité réelle du mannequin. Le mannequin apparaît ici tout d’abord comme le présentoir des produits en promotion à travers la photo. Le manteau et le sous-pull qui sont les vêtements mis en exergue dans la photo enveloppent et couvrent totalement le corps de la femme, ainsi ce n’est pas le corps ou le physique de la femme qui est important mais le vêtement en lui-même. La sobriété des formes met en lumière un dépouillement qui accentue le côté chic et luxueux du vêtement et rehausse le produit. Le manteau et le sous-pull semblent envelopper la femme comme un cocon ce qui donne un côté rassurant et cocooning au vêtement. Les vêtements Céline prennent soin de vous, de votre corps et vous protègent chaque jour. Le seul accessoire de cette image est la pochette noire que le mannequin tient dans sa main gauche. Cet accessoire a ici une signification particulière car elle est signe de richesse et de raffinement. Le vernis, le noir et le crocodile qui font d’elle les trois éléments majeurs de sa définition font référence au luxe et à la richesse. De plus, la pochette est souvent portée lors de cocktails ou de soirées mondaines ou il n’y a pas besoin d’emporter grand-chose avec soi étant donné qu’on va à la soirée pour quelques heures. Une impression ressort de l’expression de ce mannequin : elle semble figée, telle une poupée de cire, sortie d’un univers inconnu. Elle ressemble à une créature de laboratoire sortit tout droit de nulle part –le décor est en effet dur à réellement situer- qui porterait les vêtements de la marque Céline, tout comme une créature du futur souhaiterait les porter. La marque Céline reflète alors la marque du futur, indémodable, celle qui sera toujours et éternellement portée.
Une femme, un regard, un spectateur
Le spectateur semble mis en position de voyeur ou de paparazzi : la position de ¾ qui contraste avec la position frontale du visage souligne le fait que le visage se tourne expressément pour regarder l’objectif. Le regard est un regard plutôt de reproche, limite provocateur, on peut facilement sous-entendre la question « qu’est-ce qu’il y a ? ». Le spectateur est donc pris en considération mais de façon négative. Le mannequin lui fait plus comprendre qu’il dérange et qu’il n’a pas à la regarder ou la suivre, la fixer. Le regard exprime aussi une pointe de mépris pour aussi montrer l’aspect méprisable ou reprochable du voyeurisme éventuel. Nous sommes ainsi dans une relation complémentaire où la femme se retrouve en position de dominante car elle semble positionner le spectateur dans le rôle d’un vulgaire paparazzi qui traque la femme Céline. Le spectateur a pu se croire supérieur et se placer dans une position dominante en traquant la femme mais celle-ci le place, par le biais de son regard et de sa position corporelle, dans une position de dominé, et qui plus est, un dominé pathétique.